La découverte de gisements préhistoriques dans la région des Eyzies-de-Tayac, en Périgord noir, a provoqué un important changement dans la vallée. Au point que le petit village est devenu, aujourd’hui, la « capitale mondiale de la préhistoire ».

Tout commence très loin des cingles et des falaises du Périgord noir. À Paris, très exactement. Nous sommes en 1863. Édouard Larthet, paléontologue et l’un des pères de la préhistoire, découvre, chez un antiquaire des blocs de brèche. Pour faire simple, il s’agit de morceaux de grotte anciens. En y regardant de plus près, il trouve à l’intérieur des fragments de silex et d’os de rennes. Renseignements pris, il apprend que cet échantillon vient d’un petit village du Périgord, niché au pied de falaises calcaires, entre Beune et Vézère. Ces fragments proviennent de la grotte Richard, qui surplomble le village des Eyzies, aujourd’hui propriété privée.

« À l’époque, on ne s’intéresse pas vraiment à la préhistoire, éclaire Thierry Félix, docteur en préhistoire et premier guide de Lascaux II. Tout simplement parce que le poids de la religion est très présent. En revanche, il y a un intérêt pour tout ce qui est ancien, pour le vendre à des collectionneurs. » Dans la vallée, la plupart des gisements sont connus. Les silex taillés et autres objets de nos ancêtres sont expédiés chez les antiquaires parisiens par des « rabatteurs ». La chance dans le développement des Eyzies, c’est d’avoir accès au train depuis quelques années.

Sur la commune, plusieurs entreprises produisent du kaolin qu’elles expédient dans tout le pays. « Au départ, le train devait passer par le Bugue et remonter la vallée par le site de la Ferrassie, éclaire Félix. Mais grâce à des appuis politiques, il est finalement passé par les Eyzies. » Un moyen de transport moderne qui permet facilement à Larthet de se rendre sur place. « Il avait déjà réalisé des travaux dans son Gers natal, détaille Bernard Henriette, amateur éclairé et collectionneur. Larthet fait financer ses recherches par Henry Christi, un confrère anglais ». Sur place, les deux hommes embauchent des terrassiers, se font indiquer les gisements et les grottes. Et, au fil du temps, leur collection et leurs découvertes s’enrichissent. Une véritable économie se développe autour de cette nouvelle mode. «Les paysans louaient leurs terrains aux chercheurs, s’amuse Thierry Félix. Pour eux, c’était tout bénéfice, car, souvent, c’était des terrains incultivables. » C’est le cas au Moustier ou encore à Laugerie-Basse. Et, certaines de ses découvertes changent l’approche de ces études. C’est le cas de la découverte du mammouth de la Madeleine, à Tursac en 1864. Le site, niché dans un « cingle » de la Vézère, est connu puisqu’occupé jusqu’au Moyen-Âge.

Des découvertes fondamentales

En fouillant le sol, les deux hommes découvrent des fragments d’ivoire sur lesquels est gravé un mammouth. « Grâce à cette découverte, on a pu comprendre que les deux espèces avaient pu cohabiter, éclaire Bernard Henriette. Jusque-là, on pensait que les mammouths étaient antérieurs aux hommes. C’est la naissance officielle de la préhistoire. » A partir de là, les fouilles s’intensifient dans la vallée. Chaque gisement est exploré, fouillé, voire même profané. Certains propriétaires se font même avoir. « Mon grandpère avait conservé toute la collection de la grotte Richard, explique Didier Chadourne, l’actuel propriétaire du site. On est venu le voir en lui disant qu’il devait les prêter pour une exposition, on lui a dit « c’est pour la science ». Il n’en a plus jamais entendu parler. » Des collections entières disparaissent ainsi, au bénéfice de riches amateurs.

« Mon grand-père avait conservé toute la collection de la grotte Richard. »

Les préhistoriens embauchent même des gardes pour surveiller les chantiers de fouilles. Des paysans vendent sur le pas de la porte des silex qu’ils ont trouvés en labourant leurs terres. En cette fin de XIXe siècle, un vent nouveau souffle sur la vallée. Si certaines grottes sont connues, on y jette dorénavant un regard neuf. C’est le cas de Fond-de-Gaume. Des graffitis médiévaux témoignent de la connaissance de la cavité de longue date. « En 1892, Denis Peyrony, le futur préhistorien y était déjà entré sans voir les peintures », livre Bernard Henriette. Dans les habitations troglodytiques aussi, on mène des fouilles. C’est le cas de Cap-Blanc, dans la vallée de la Beune. « Une couche de sédiments barrait l’entrée, au fond de l’étable, en 1895, détaille Thierry Félix. C’est à ce moment-là qu’on identifie l’art pariétal. » Sur le terrain, Peyrony et Otto Hauser, un Suisse allemand, se livrent une véritable bataille. Le premier est un instituteur mis à disposition du ministère. Le second, un antiquaire.

Le pépé du Moustier est donc loin, très loin de ses terres.

Au Moustier, le crâne d’un Néanderthal est découvert par le Suisse. Il sera expédié en Allemagne. Aujourd’hui, on a perdu sa trace. « Il était au musée de Berlin, livre Thierry Félix. Dans les caves. On sait que pendant la Seconde Guerre Mondiale, les Soviétiques sont arrivés les premiers dans la capitale allemande. Aujourd’hui, ce crâne serait soit à Moscou, soit à Saint-Pétersbourg. » Le Pépé du Moustier est donc loin, très loin de ses terres. En 1905, un congrès de préhistoriens se tient à Montauban. Devant la profusion de découvertes aux Eyzies, ils prennent le train pour venir voir sur place. La Ruée vers l’Os bat son plein. La Grande Guerre met entre parenthèses la préhistoire. En 1938, Denis Peyrony, débarrassé de son concurrent suisse et allié de l’abbé Breuil, parvient à faire « son » musée aux Eyzies. « Pour lui, c’est une forme de consécration, livre Thierry Félix. Tous les deux sont vieillissants. » Mais, deux ans plus tard, la découverte de Lascaux, par quatre minots du coin, relance l’intérêt pour la préhistoire. Pour l’anecdote, Breuil est réfugié à Brive. Un de ses neveux vient le voir et lui demande de visiter Fond-de-Gaume. Ce parent, Maurice Thaon, rend ensuite visite à son frère à Montignac. Au bistrot, il entend parler de la découverte d’une grotte. Il se fait conduire sur place mais se voit refuser l’accès par les inventeurs, fidèles au poste. « Il leur dit alors qu’il est le neveu de l’abbé Breuil, sourit Thierry Félix. Mais tant que Breuil n’était pas là, il n’a pas eu accès à la grotte. Et voilà comment Breuil a eu vent de l’existence de Lascaux avant Peyrony. »

Autre anecdote amusante, lorsque l’abri Pataud est fouillé, les silex découverts sont entreposés dans des caisses, à l’entrée. Dans les années 1980, Gilles et Brigitte Delluc viennent sur place pour voir si certains ne seraient pas perdus. En levant la tête, ils découvrent le fameux bouquetin peint sur le plafond. Bien que la préhistoire ait pris naissance à la fin du XIXe siècle, il aura fallu attendre longtemps pour authentifier certains sites. C’est le cas de la grotte de Rouffignac. « Elle était connue de tous mais n’a été authentifiée qu’en 1956 », livre Thierry Félix. Quant à savoir si d’autres découvertes sont possibles, le préhistorien est formel. « Oui, évidemment, note-t-il. La preuve, la grotte de Cussac, au Buisson, n’a été découverte qu’en 2000 ». Pour la petite histoire, Peyrony avait commencé à fouiller l’entrée, avant d’abandonner et sans savoir qu’un peu plus loin, se cachait un véritable trésor.

Par Boris Rebeyrotte
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Photo emblématique peu après la découverte de la grotte de Lascaux (1940). L’abbé Henri Breuil et les archéologues sous le panneau des aurochs.